lundi 21 juillet 2014

[Critique] Pigeon - voyeurisme ordinaire


L’humour noir, c’est cet humour qui permet de rire de tout avec la désagréable conscience qu’on ne devrait pas. Cet humour qui ne se transforme pas en un exutoire à nos penchants les plus tristes, mais qui, au contraire, interroge en opposant violemment le rire et l’horreur.

C’est arrivé près de chez vous est un monument d’humour noir, une réflexion sur la sur-médiatisation, sur notre penchant pour le voyeurisme et sur l’hyperviolence.

Le film se déroule comme une émission de téléréalité où une équipe TV suit un tueur à la petite semaine dans son quotidien. En un peu plus d'1h30, on assiste à plusieurs dizaines de meurtres, sous l’œil impassible – voir complice – de la caméra.

Avec papi

Le tueur, joué par Poelvoorde – dont la carrière décollera après ce film – n’est pas représenté comme un monstre sans cœur, mais comme « monsieur tout le monde » qui s’emporte dans des envolées lyriques de bistrot entre deux meurtres de petit-gens «parce qu’il vaut mieux s’attaquer aux pauvres pour passer sous le filet médiatique».

A la caméra, il explique comment se débarrasser d’un corps, tuer sans tirer, faire un cocktail… il invite ses coéquipiers de la télé à participer à ses joies : violer une femme, se servir dans une maison, aller au restaurant – ils acceptent.

"Tu vois, pour un corps normal, c'est trois fois le poids"

Le métier est dangereux : il y a parfois un mort dans l’équipe de tournage. Ceux qui restent répètent toujours la même rengaine : «On continue pour lui […] je pense surtout à Marie-Paul, la fille avec qui il venait d’avoir un enfant», renforcer le pathos, ça fera vendre plus.

Petit à petit, on réalise que la violence : la vrai, ça n’est pas temps celle des meurtres : c’est le racisme ordinaire, c’est celle de son entourage – qui accepte comme si il ne voyait pas la terrible vérité, c’est l’isolement des victimes – trop vieilles ou trop pauvres, c’est cette équipe TV qui se fout de la dignité humaine… c’est la position du spectateur qui sourit tandis que s’entassent les corps.

Car oui, pris en extrait ce film a de l’humour, mais en boucle, il provoque immanquablement l’écœurement, on ahonte de rire, on est horrifié : et c’est bien là le génie du scénariste et réalisateur – Rémy Belvaux – remettre le consommateur de faits divers et de « reality show » face à ce qu’il est : un voyeur qui tente d’excuser son comportement, mais ici, pas d’excuse. Le traitement noir et blanc renforce l’aspect sinistre.

Poelvoorde, Bonzel et Belvaux
De cette oeuvre, je garde un dégoût pour les faits divers et une passion pour Poelvoorde avant sa dépression qui se confirmera avec Monsieur Manhattan et les Jamais au grand jamais. Pour atteindre un tel sommet de cynisme, fallait-il être dépressif ? Le suicidede Belvaux, la disparition médiatique de Bonzel (coréalisateur) et la dépression de Poelvoorde le suggèrent.

Reste un pamphlet salvateur contre les dérives d’une société qui veut tout voir et qui oublie d’écouter, décidément, C’est arrivé près de chez vous est une œuvre d’utilité publique.

Pala