samedi 19 juillet 2014

[Critique] Noé – L’esthétique de la crasse


Un film peut-il n’être que pour ce qu’il nous montre ? Qu’est-ce qui sépare un réalisateur d’un plasticien ? Jusqu'où accepter l’esthétique ?

Lorsque je regarde un film de Gaspar Noé, telles sont mes interrogations. Ce réalisateur rare et controversé (c’est l’auteur d’Irréversible) sort, 2009, son troisième et dernier film à ce jour : Enter the Void.

Le film se décompose en trois parties : la première raconte les derniers moments d’un jeune expatrié devenue junkie à Tokyo. Celui-ci va être tué par la police alors qu’il se débarrasse de sa drogue dans les toilettes du club « The Void ». La seconde partie montre l’errance du fantôme du jeune homme sur Terre : il observe l’impact de ses actions et de sa disparition sur ses proches. Enfin, on assiste à la réincarnation après avoir atteint le Nirvana représenté sous la forme de l’hôtel Love dans un Tokyo fantasmé.

First Person Shooted

L’intérêt de cette œuvre réside dans son traitement extrêmement ambitieux (donc parfois snob). Ainsi, la première partie est en vue subjective (ie au travers des yeux du héros), on le voit cligner des yeux (l’écran s’éteint et se rallume), porter une pipe à opium à sa bouche, se regarder dans le miroir : comme dans un jeu vidéo à la première personne.

Fuite

La seconde partie est vue en plongée, on flotte au-dessus des rues et des personnages, on traverse littéralement les murs pour entrer dans les bâtiments, le tout dans d’immenses travellings uniquement entrecoupés par des flashs de lumière blanche lorsque le fantôme est confronté à la douleur de ses proches (qui servent d’ellipses spatiales). Noé utilise le code couleur asiatique –logique pour un film se déroulant au Japon, mais déroutant : ainsi, les rares scènes à dominante blanche sont celles du deuil (avortement, incinération, morgue…), l’observation des êtres aimés et la violence est à dominante rouge et les scènes où l'on suit l'ami du héros devenu clochard (ie : sale, glauque) sont jaunes. Enfin, 90% du film est tourné de nuit, donc sombre.

Acid

Enfin, la troisième partie est filmée de façon irréelle : Tokyo y est montré de très haut (du ciel) avec l’emploie de l'effet « maquette», les bâtiments sont cerclés de néons et il y a plein de bites lumineuses. La dernière scène où il se réincarne en un bébé renverse le code couleur en reprenant le modèle occidental : les deux parents de l’enfant sont caucasiens, le blanc symbolise de nouveau la vie.

On notera également que le son est presque toujours diégétique sauf pour les scènes de délires, mais Noé le déforme pour provoquer l’émotion.

En résulte un film très beau mais relativement ennuyeux, dont les enjeux sont tellement vides qu’un personnage les expose en deux phrases au début du film. Noé signe, cependant, une des meilleures représentations de la défonce ainsi qu’une production plastique forte… qui aurait sans doute plus eu sa place au Palais de Tokyo que dans les salles obscures (comme le confirme son échec au box-office).


Une expérience sensorielle unique mais purement expressionniste à voir avec ou sans stupéfiants.

Pala