lundi 22 juin 2015

[Critique²] Une vision


En mars 2015, j’ai eu l’occasion d’aller au Théâtre de la Colline, voir La Bête dans la Jungle suivie de La Maladie de la Mort, deux pièces de Margueritte Duras mises en scène par Célie Pauthe. L’occasion de revenir sur la première pièce que j’avais déjà traitée sous l’angle du théâtre filmé et de nous demander à qui appartient une œuvre.

En préambule, Célie Pauthe a fait un choix de mise en scène audacieux : celui de réunir deux pièces en une seule afin de former un tout cohérent, sans modifier le texte des pièces. Cette approche fonctionne au regard de la narration, en revanche, sous cette forme, la pièce dure 2h30 – sans entracte.

Autre proposition de mise en scène audacieuses de La Maladie de la Mort par le collectif Or Normes, en 2014

Or, le ton « durassien » est lent et fait la part belle à l’ennui. Un ennui consentit, dont j’avais déjà parlé lors de ma chronique d’India Song. C’est cette nécessité de consentement qui rend le travail de Duras difficile à appréhender. En effet, le risque plane toujours que le spectateur rompe le consentement : qu’il s’impatiente. C'est donc en connaissance de cause que Pauthe a fait le pari d’un double ton.

Ainsi, au lieu d’assister à une pièce homogène, on assiste à une interprétation bourgeoise (moins rigide, moins languissante) de la Bête dans la Jungle, tandis que la Maladie de la Mort reprend un ton plus durassien.

Pour modifier le ton de sa pièce, Pauthe a tout d'abord changé le jeu des acteurs : on est loin du duo intellectuel et froid composé de Sami Frey et Delphine Seyrig (voix monocordes, économie de mouvements). Le couple formé par John Arnold et Valérie Dréville joue un jeu bien plus cabotin (ils courent, sautillent, leurs intonations sont beaucoup plus envolées…). Cette différence de jeu transforme une tragédie classique en un quasi-vaudeville.

Dans la version de 1981, les personnages font partie d’une noblesse surannée, le ton est solennel et on comprend que « chez ces gens-là, Monsieur,  on n’cause pas ». Dans la version de 2015, au contraire, les personnages sont des bourgeois du 19ème siècle, dans tout ce que ce terme a de précieux et de ridicule ; aussi, le fait que John ne comprenne pas les sous-entendues appuyés de sa compagne n’est plus tragique, mais drôle : il semble niait et égocentrique. Cet aspect bourgeois est renforcé par l'apparence physique, plus ronde, de Arnold, comparée à la minceur de Sami Frey. Le sens même de la pièce de James et Duras est modifié par l'interprétation.

Je n'ai pas trouvé de meilleure image pour illustrer le jeux "cabotin" des acteurs de cette version 2015...

Le jeu des acteurs est appuyé par le choix des décors, très aboutis dans les deux cas, mais qui n’ont pas la même finalité.

Dans la mise en scène d'Alfredo Arias, la scène était séparée par une colonne au premier plan, l’entrée des personnages se faisait par le fond de la scène (comme dans une tragédie classique) et le portrait du Troisième Marquis était visible. Les scènes d’introspections se déroulaient devant le portrait, donc, devant une projection indirecte et impersonnelle du futur tragique de John. Du fait de la colonne, les hors-champs prévus par Duras avaient lieu sur scène : c’est-à-dire qu’ils ne nécessitaient pas de traverser la scène, ce qui favorisait l’économie de mouvement. La colonne imposait également que l’action ne pouvait se dérouler au centre de la pièce : cela renforçait l’impression que les personnages étaient victime de la fatalité, qu’ils n’étaient pas aux commandes de leur destin : ils subissaient  le cours des événements et étaient écrasés par leur environnement et leurs positions.

Dans la version de Pauthe, la scène est organisée de façon plus classique : des murs avances sur les côtés pour permettre les hors champs, le portrait est justement dans un hors champ, tandis qu’un miroir trône à hauteur d'homme (là où, en 1981, on voyait une cheminée surmontée d'un miroir, trop haut pour les acteurs). L’entrée des personnages enfin, ce fait au premier-plan, sur les côté. Cette forme d’entrée par des portes latérales est très proche des décors de vaudeville. De plus, les hors champs impliquent de grands déplacement, aussi les acteurs sont beaucoup plus mobiles. Enfin, une partie des introspections de John se fait désormais face au miroir, ce qui renforce l’aspect narcissique et dérisoire du personnage.

On notera également que l’éclairage tamisé de la pièce d'Arias est remplacé par un système beaucoup plus sophistiqué qui reproduit plusieurs situations en fonction de ce à quoi assistent les personnages (couché de soleil, repas aux chandelles, maison en deuil…). Une fois de plus, cette approche - certes très esthétique - nous éloigne de l'aspect éthérée et austère qui contribuait à la crédibilité de l’œuvre en tant que tragédie.

... et la même scène dans la version austère de 1981 - le contraste parle de lui même.

Pour finir, le piano soliste de Carlos D’Alessio est remplacé par des sons expérimentaux tout à fait adaptés, mais moins marquants. De plus, l’absence de musicien sur scène renforce l’impression d’écouter une musique d’attente en attendant que le décor ne change.

Finalement, ces deux visions d’une même pièce m’ont semblé être un cas d’école concernant l’impact de chaque éléments de la mise en scène sur le ressentit d’une pièce : on peut imaginer adapter l’Antigone d’Anouilh en une comédie familiale sur la crise d’adolescence ou Andromaque, de Racine en un pilote des Feux de l’Amour.

L’accueil positif de la majorité de la salle et des critiques prouve que les choix du metteur en scène, le jeu des acteurs, mais surtout, l’assentiment de chaque spectateur au contrat proposé, importent autant que le texte de l’auteur. Pour appréhender correctement une oeuvre, il faut saisir la vision globale ET individuelle de chaque élément – à commencer par la considération de ses goûts personnels.

Aussi, si je n’ai pas adhéré à cette nouvelle version, c’est plus à cause de l’opposition entre mes propres attentes et la vision proposée, qu’à cause des défauts réels de la pièce. Cette expérience enrichissante, vous pouvez la reproduire chez vous (pour le prix d’un Willi Waller 2006), par exemple en comparant Tel Père, Tel Fils et la vie est un long fleuve tranquille.

Pala

vendredi 19 juin 2015

[Critique] Un grillon se débattait dans un verre d’eau


Du 11 au 20 juin 2015, à la Maison de la Culture du Japon à Paris, la compagnie de butô contemporain Dairakudakan présente La planète des insectes, sous la direction de son directeur artistique, chorégraphe et danseur, Akaji Maro – un spectacle d’une heure et demie à mi-chemin entre 1001 pattes et Le meilleur des Mondes. J’ai vu ce spectacle le 18 juin, il s’agissait de ma première expérience de butô : rapport !

La danse butô a été inventée au début des années 60, en réaction au traumatisme de la bombe. Il s’agit de performances initialement exécutées par des danseurs masculins recouverts de poudre blanche (des cendres). Les expressions corporelles et faciales des performeurs sont exacerbées, dans la tradition du théâtre Kabuki ou … et plus généralement, de l’ensemble de la production culturelle japonaise (des estampes traditionnelles à une grande part des mangas modernes en passant par le jeu des acteurs du cinéma de Kurosawa).

Akaji Maro

Akaji Maro est un des monuments du butô, aujourd'hui âgé de 72 ans, il a participé à réinventer le genre, en y ajoutant des costumes, une mise en scène plus complexe (plus kitsch) et moins dépouillées, des musiques modernes (le compositeur de La planète des insectes n’est autre que le DJ Jeff Mills) et en introduisant des danseuses. Cependant, le principal scandale dont il est à l’origine a été de recouvrir ses danseurs de paillettes dorées au lieu de la cendre blanche traditionnelle. Cela lui a valu une exclusion temporaire de l’école butô.

Maro apparaît également dans Kill Bill, de Quentin Tarantino et l'Eté de Kikujiro, de Takeshi Kitano. Il joue également dans Suicide Club et Soseiji, deux films de genre qui donnent une bonne idée des pensées du personnage et des tourments de son art.

Car ce qui saute aux yeux, lorsqu'on assiste à un spectacle de butô, c'est la torture des corps, chaque anatomies est magnifiées par le maquillage qui souligne les muscles mis à nu. Les membres se tordent, les yeux se révulsent, les langues apparaissent rouge sang, les bouches s’ouvrent, béantes : ces danseurs sont beaux ! Et, quoi que la scène d’introduction de La planète des insectes – où les acteurs sont habillés – soit une des plus percutantes, plus les danseurs sont nues, plus ils sont beaux.

Dairakudakan - La planète des insectes

Malgré cette déstructuration apparente du corps, le butô est une danse maîtrisée. Les danseurs jouent un rôle qui fait sens. Le propos de la pièce (la déshumanisation, la rupture du refoulement du soi, le rapport homme-fourmis…) n’est pas altéré par la grandiloquence des mouvements.

Finalement, j’ai pris un pied monstre pour ce premier spectacle et malgré quelques soucis de rythme et un ou deux moments trop kitsch à mon goût (le combat entre cigales et fourmis est presque cartoonesques). Il s’agissait surement d’une excellente introduction à cette danse subtile mais sans concession. Si vous le pouvez, allez voir La planète des insectes, allez voir Akaji Maro, allez voir du butô, allez voir de la danse et avant tout, dansez!

Ah, hier, Jeff Miles était présent pour son anniversaire. Joyeux anniversaire à lui et merci pour la bande son presque parfaite et délicieusement industrielle.

Amour,

Pala

mardi 24 février 2015

[Revue Musicale] Janvier 2015

Shaun Tan - Rules of Summer (2013)

Eh yo! Wat'z'up?

On est en février, adieu janvier et ce mois-ci : on va teaser!

Un indice : Du rap pékinois, ça préfigure quoi à votre avis? Gamer by Peatle ft. YoungQueenz, bla!!!

Je vous laisse réfléchir, on y reviendra. En attendant, si on allait chercher le Saint Groove? (Ouiiii!!) il n'est pas loin, suffit d'écouter Coupe De Ville par TCTS et Aniff Akinola pour le sentir poper en nous et commencer le travail de relaxation. On complétera d'une touche de Monophoniocs : I'm Done. Voilà, calmement.

Fiouuuu, on lâche tout, et on embarque sur le navire de Long Arm - Turkey, ça me rappel un truc (vous moquez pas) : l'excellente OST d'Age of Empire I - oui, c'est une madeleine de Proust, mais une bonne!

Dans le même style un peu plus rythmé, je vous propose le remix de Black Sand par PMGN : haaaa, c'est booon! La promesse des étés futurs!

Hein?! Pardon? J'ai dû m'assoupir, je rêvai d'été. Pas étonnant : Long Arm a trouvé la berceuse idéale avec son morceau Gika Gika. A moins que je ne me soit laissé engourdir par la brûlante mélancolie de Timbuktu Fasso, tiré de l'OST du film du même nom - une ode poétique contre la bêtise : MAGNIFIQUE.

Tmtc, j'adore la musique orientale - j'en met partout - ce mois-ci, on découvre le Son d'Isha, d'Albi Mtalak (il fait super chaud dans cette playlist).

Toutes les bonnes choses ont une fin, et après Marachi de RedRum, on entre dans le côté obscur de la sélection : au programme, dissonances et imperfections avec Silver Needle, Silver Dragon de Pan Gu - une vraie vision de la paranoïa.

Tu regrettes déjà l'été? Attend que je te parle de musique fréquentielle. C'est un petit mouvement contemporain, assez peu connu du grand public, car pas facile d'approche. Parmi les compositeurs, on notera Tristan Murail, Gérard Grisey ou encore Giacinto Scelsi. Pour illustrer mon propos, je te propose une petite variation vocale de Scelsi - Hô part.I.

Dans un genre assez semblable, Mica Levi a réalisé ce qui aurait mérité l'Oscar de la meilleur bande son : l'OST inquiétante d'Under The Skin - fascinant.

Oh! mais qui voilà? Grisey qui vient nous faire une seconde démonstration (instrumentale) de la musique fréquentielle. Particulier n'est-ce pas?

Je vous pardonne si ça n'est pas votre truc. Au moins, vous savez que ça existe. Et puis la techno c'est un peu de la musique fréquentielle en fait - si si, écoutez : Minimum Syndicat en deux exemplaires pour le prix d'un.

Vous avez décrochez? Sinon, donnez un signe de vie (attention : jeux de mot foireux en préparation) avec No Signal Found de Chaos in CBD (c'est une catastrophe T_T).



Vous avez répondu à la question du début? Sinon, la réponse était : une PL sur l'Extrême Orient débarque le mois prochain! (Youpiii) du coup, on se quitte sur du rap cambodgien : BK Hivit Boeung Kaplhoak.

Bises mes mignon(ne)s!

Pala


PS : Ce mois-ci, j'ai piqué les illustrations du dessinateur australien Shaun Tan pour illustrer ma playlist. Ce mec est un génie de l'illustration, si vous ne connaissez pas, je vous encourage à vous jeter sur ses livres jeunesses et sur l'excellentisime Là où vont nos pères.

mardi 6 janvier 2015

[Revue Musicale] Décembre 2014


Bonne année 2015 ! Youhou !!!

Dernière playlist 2014!