L’humour noir, c’est cet humour
qui permet de rire de tout avec la désagréable conscience qu’on ne devrait pas.
Cet humour qui ne se transforme pas en un exutoire à nos penchants les plus
tristes, mais qui, au contraire, interroge en opposant violemment le rire et l’horreur.
C’est arrivé près de chez vous est un monument d’humour noir, une réflexion
sur la sur-médiatisation, sur notre penchant pour le voyeurisme et sur l’hyperviolence.
Le film se déroule comme une émission
de téléréalité où une équipe TV suit un tueur à la petite semaine dans son
quotidien. En un peu plus d'1h30, on assiste à plusieurs dizaines de meurtres,
sous l’œil impassible – voir complice – de la caméra.
Avec papi |
Le tueur, joué par Poelvoorde –
dont la carrière décollera après ce film – n’est pas représenté comme un
monstre sans cœur, mais comme « monsieur tout le monde » qui s’emporte
dans des envolées lyriques de bistrot entre deux meurtres de petit-gens «parce qu’il vaut mieux s’attaquer aux
pauvres pour passer sous le filet médiatique».
A la caméra, il explique comment
se débarrasser d’un corps, tuer sans tirer, faire un cocktail… il invite ses coéquipiers
de la télé à participer à ses joies : violer une femme, se servir dans une
maison, aller au restaurant – ils acceptent.
"Tu vois, pour un corps normal, c'est trois fois le poids" |
Le métier est dangereux : il
y a parfois un mort dans l’équipe de tournage. Ceux qui restent répètent
toujours la même rengaine : «On
continue pour lui […] je pense surtout à Marie-Paul, la fille avec qui il
venait d’avoir un enfant», renforcer le pathos, ça fera vendre plus.
Petit à petit, on réalise que la
violence : la vrai, ça n’est pas temps celle des meurtres : c’est le racisme
ordinaire, c’est celle de son entourage – qui accepte comme si il ne voyait pas
la terrible vérité, c’est l’isolement des victimes – trop vieilles ou trop
pauvres, c’est cette équipe TV qui se fout de la dignité humaine… c’est la
position du spectateur qui sourit tandis que s’entassent les corps.
Car oui, pris en extrait ce film
a de l’humour, mais en boucle, il provoque immanquablement l’écœurement, on ahonte de rire, on est horrifié : et c’est bien là le génie du scénariste
et réalisateur – Rémy Belvaux – remettre le consommateur de faits divers et de « reality
show » face à ce qu’il est : un voyeur qui tente d’excuser son
comportement, mais ici, pas d’excuse. Le traitement noir et blanc renforce l’aspect
sinistre.
Poelvoorde, Bonzel et Belvaux |
De cette oeuvre, je garde un dégoût
pour les faits divers et une passion pour Poelvoorde avant sa dépression qui se
confirmera avec Monsieur Manhattan et
les Jamais au grand jamais. Pour
atteindre un tel sommet de cynisme, fallait-il être dépressif ? Le suicidede Belvaux, la disparition médiatique de Bonzel (coréalisateur) et la
dépression de Poelvoorde le suggèrent.
Reste un pamphlet salvateur
contre les dérives d’une société qui veut tout voir et qui oublie d’écouter,
décidément, C’est arrivé près de chez vous est une œuvre d’utilité publique.
Pala