Un film peut-il n’être que pour ce qu’il nous montre ?
Qu’est-ce qui sépare un réalisateur d’un plasticien ? Jusqu'où accepter l’esthétique ?
Lorsque je regarde un film de Gaspar Noé, telles sont mes interrogations.
Ce réalisateur rare et controversé (c’est l’auteur d’Irréversible) sort, 2009, son
troisième et dernier film à ce jour : Enter the Void.
Le film se décompose en trois parties : la première
raconte les derniers moments d’un jeune expatrié devenue junkie à Tokyo. Celui-ci
va être tué par la police alors qu’il se débarrasse de sa drogue dans les
toilettes du club « The Void ». La seconde partie montre l’errance du
fantôme du jeune homme sur Terre : il observe l’impact de ses actions et
de sa disparition sur ses proches. Enfin, on assiste à la réincarnation après
avoir atteint le Nirvana représenté sous la forme de l’hôtel Love dans un Tokyo
fantasmé.
First Person Shooted |
L’intérêt de cette œuvre réside dans son traitement
extrêmement ambitieux (donc parfois snob). Ainsi, la première partie est en vue subjective (ie au travers des yeux du héros), on le voit cligner des yeux (l’écran s’éteint et se
rallume), porter une pipe à opium à sa bouche, se regarder dans le miroir :
comme dans un jeu vidéo à la première personne.
Fuite |
La seconde partie est vue en plongée, on flotte au-dessus
des rues et des personnages, on traverse littéralement les murs pour entrer
dans les bâtiments, le tout dans d’immenses travellings uniquement entrecoupés
par des flashs de lumière blanche lorsque le fantôme est confronté à la douleur
de ses proches (qui servent d’ellipses spatiales). Noé utilise le code couleur asiatique –logique pour un film se déroulant au Japon, mais déroutant :
ainsi, les rares scènes à dominante blanche sont celles du deuil (avortement,
incinération, morgue…), l’observation des êtres aimés et la violence est à dominante rouge et
les scènes où l'on suit l'ami du héros devenu clochard (ie : sale, glauque) sont jaunes. Enfin, 90% du film est tourné de nuit, donc sombre.
Acid |
Enfin, la troisième partie est filmée de façon irréelle :
Tokyo y est montré de très haut (du ciel) avec l’emploie de l'effet « maquette»,
les bâtiments sont cerclés de néons et il y a plein de bites lumineuses. La dernière scène où il se réincarne en un bébé renverse
le code couleur en reprenant le modèle occidental : les deux parents de l’enfant
sont caucasiens, le blanc symbolise de nouveau la vie.
On notera également que le son est presque toujours
diégétique sauf pour les scènes de délires, mais Noé le déforme pour provoquer
l’émotion.
En résulte un film très beau mais relativement ennuyeux,
dont les enjeux sont tellement vides qu’un personnage les expose en deux
phrases au début du film. Noé signe, cependant, une des meilleures
représentations de la défonce ainsi qu’une production plastique forte… qui
aurait sans doute plus eu sa place au Palais de Tokyo que dans les salles
obscures (comme le confirme son échec au box-office).
Une expérience sensorielle unique mais purement expressionniste
à voir avec ou sans stupéfiants.
Pala