Bienvenue au théâtre |
Il est des expériences dont on garde à jamais le souvenir halluciné. Des rêves mystiques que l’on avait pas prévus, que l’on avait pas voulus mais que l’on ne veut pour rien au monde oublier.
En 1961, Alain Resnais a 39 ans. En 2011,
il en a 89, il mourra 3 ans plus tard. En 2011, j’ai 21 ans, je rentre de
soirée, j’arrive chez mes parents, usé, las, alcoolisé : ce matin de 2011,
je ne veux que dormir… mon père décide de me montrer L’année dernière
à Marienbad… j’entre dans un tunnel cosmique d’une heure trente.
Dans un état second, je
vois défiler un plafond, puis des colonnes, des couloirs en noir et blanc. Un
homme narre ce que je vois, il le met en relief... il faudra près de 4 minutes
pour que le rideau du drame ne se lève (au sens propre, le public assiste au
début d’une représentation).
Ce qui nous a été présenté, c’est
la scène : le Grand Hôtel de Marienbad.
Dans cet hôtel, un homme va tenter de convaincre une femme qu’ils se sont aimés
l’an dernier. Dans des tableaux fixes (salles de réception, jardins, couloirs),
présentés dans une temporalité
décousue, le discours de l’un brouillera les certitudes de l’autre. Autour
d’eux, la bourgeoisie oisive, orgueilleuse et surannée de Marienbad se promène,
joue, observe, surveille, juge, condamne.
L’année dernière à Marienbad est une tentative d’adaptation
cinématographique du Nouveau
Roman, un mouvement littéraire de la deuxième moitié du XXe siècle qui remet
en cause les codes du roman classique en plaçant le lecteur et le narrateur en
parti-prenants de l’intrigue et en bousculant les repères spatio-temporels.
Résultat, comme les badauds du Grand Hôtel, on observe, on juge, on condamne.
Pour renforcer ce sentiment, il arrive que la caméra quitte les protagonistes
pour se promener dans l’hôtel. Le film brise le quatrième mur
– non en s’introduisant
dans la réalité, mais en nous plongeant
dans la fiction.
L’immersion est renforcée par une
mise en scène théâtral et une caméra dirigée à la perfection : les plans
sont symétriques, les travelings lents sont parfaitement maîtrisés et la photographie
du film, signé Sasha
Vierny, est impressionnante de détails, de contraste et de précision.
Vierny sait, comme personne, travailler
les textures en noir et blanc, rendant chaque plan unique.
Delphine Seyrig et Giorgio Albertazzi |
Enfin, comment parler de ce film
sans parler de son actrice principale, découverte par Resnais deux ans plus tôt :
Delphine Seyrig !
Le bloc de glace le plus charmant et le plus émouvant qu’il m’ait été donné d’admirer !
Cette actrice, c’est Antoine
Doinel (Antoine Doinel, Antoine Doinel), Moujik
Man et Red China Man, le
charme discret de la bourgeoisie, « … » (dans India Song) et bien sûr
« … oui » dans L’année dernière
à Marienbad.
Ai-je rêvé plus que je n’ai vu ?
Quel fut l’impact du vin sur mon jugement ? Après tout, cet état semble
courant, là-bas, à Marienbad et j’espère vous y croiser un jour, l’année dernière
peut-être ?
Pala