mercredi 20 août 2014

[Critique] Vampire – Les Saturnales


Qu’y a-t-il de plus commun que l’expression « c’était mieux avant » ? Nous vivons une période de récession, les jeunes ont perdus toutes valeurs morales, l’art s’appauvri, on court vers un nouveau conflit mondial, la science est dévoyée et il n’y a plus de saisons (ma bonne dame).

Face à un tel constat, il est raisonnable de baisser les bras et de cultiver une fort-légitime misanthropie (cadeau) pour le cancer qu’est l’Humanité.

En regardant l’Histoire avec un peu d’objectivité, il advient pourtant qu’on réalise que rien ne fut mieux avant – spécialement en Occident – et que rien n’eut l’air mieux avant. Que ce soit la Bible ou Baudelaire : le sentiment de l’abandon des « vrais valeurs » et de l’appauvrissement de l’Humanité existe depuis toujours (c’est l’un des sens métaphorique du mythe d’Eden : l’Homme ne vécut heureux qu’au commencement).

Sorbet au sang : rien de mieux pendant la canicule

Il est vrai que – si l’on suit la théorie de « l’Âge d’Or » selon laquelle l’Humanité alterne des périodes d’obscurantisme et des périodes d’apogées – nous quittons actuellement l’apogée. Cependant nous n’avons pas encore atteint l’obscurantisme et l’actualité des sciences et des arts reste passionnante pour peu qu’on s’y intéresse : explosion de la musique électronique, découverte spatiale, thérapie cellulaire : demain excite et aujourd’hui intrigue ! Aussi faut-il relativiser le poids du temps, au risque d’arrêter de vivre.

Voilà les réflexions soulevées par le dernier film de Jim JarmuschOnly Lovers Left Alive : un film romantique (au sens littéraire) et rock (au sens musical) sur un couple de vampire des temps modernes errant entre Detroit et Tanger.

Mille et une nuit

Jarmusch replace le mythe fascinant du vampire à sa juste valeur. Ni costumes du 18ème siècle, ni mièvreries adolescentes : les êtres dont il est question ont vécu l’Histoire, l’ont influencée : ils sont matures, désabusés, érudits.

Lui, Adam (quand je vous parlais du mythe d’Eden) vit reclus dans Détroit, ville morte, ancien fleuron industriel de la superpuissance américaine aujourd’hui en crise. Elle, Eve, vit à Tanger, ville pauvre mais vivante en plein renouveau. Lui est dégoûté des « zombis » - les humains – dont il méprise la bassesse. Il vit reclus, ne sortant que pour récupérer du sang à l’hôpital, composant des musiques dont personne ne profite plus. Elle sort, dance, vie dans le présent (nocturne, il va de soi).

Bande de Hipster

Elle va le convaincre de reprendre goût à la vie, ensemble, ils vont voir – nous allons voir – que les « zombis » peuvent vivre, être bons et doués, que les vampires peuvent être vaniteux, futiles.

Ce film est un film d’errance, en cela que les héros n’accomplissent pas de grandes évolutions en deux heures de temps, cela ne fait pas moins progresser le spectateur : Only Lovers Left Alive montre la beauté des choses dans ce que nous considérons communément comme repoussant (nuit, bas-fonds, ruines urbaines, crise…). La réalisation de toute beauté et la musique envoutante viennent compléter une fresque romantique magistrale, le plus beau film qu’il m’ait été donné de voir traitant de vampire.

Pala.