jeudi 25 septembre 2014

[Opinion] La peur de l'isme et le novlangue

Timeo hominem unius libri - je crains l’homme d’un seul livre - pensée de Saint Thomas d’Aquin.


Idéologie [n. f. du grec ancien ἰδέα (idea), «idée», et de λόγος (logos), «science, discours»] Système d'idées prédéfini que l'on applique à la réalité. […] Une idéologie dominante est diffuse et omniprésente, mais généralement invisible pour celui qui la partage du fait même qu'elle fonde la façon de voir le monde. (Wikipédia)

Note - comme les définitions du mot idéologie sont multiples - allant du carcan d'idées imposées à l'homme, jusqu'à une "idée nébuleuse" (Larousse), j'emploierai dans cette article le mot fictif "isme" qui a pour sens la définition d'"idéologie" donnée ci-dessus... même si à la base, c'était juste une bonne blague potache des foyers qui est tombée à l'eau en écrivant l'article... un peu comme écrire en latin quoi.


Guernica - 1937, Pablo Picasso

Il y a de multiples formes d'ismes, du socialisme au libéralisme, du féminisme au sexisme, de l'écologisme au productivisme.

Pourtant, de plus en plus d'amis, de personnalités médiatiques et politiques, de gens en général semblent contracter la peur de l'isme. Même des gens très raisonnables et très réfléchis - semblent verser dans ce préjugé ésotérique né, il me semble, de l'union d'un quiproquo et d'une facilité intellectuelle.

Ainsi, nombre de conversations dérivant sur la politique (ne JAMAIS dériver sur la politique) finissent par un "tu penses comme ça parce que c'est ton isme, mais, la vérité, c'est que blablabla...". L'isme, c'est ce joker décrédibilisant, ce truc qui prouve au monde que vous ne réfléchissez pas par vous-même, mais par endoctrinement; c'est les adieux à la liberté de pensées, c'est le "politiquement correct", c'est du "moutonnisme".

Car - sauf dans de très rares cas - on n'est pas l'auteur de l'isme qu'on défend. Il est donc vrai que revendiquer un isme quelconque, c'est abdiquer une partie de ses idées à une pensée collective. Mais que cela déplaise aux partisans de l'anarchisme ou de l'individualisme, il n'en porte pas moins leurs ismes en bandoulière.

Alors comment abdiquer tous ses ismes? Comment s'en purifier? La réponse est simple: on ne peut pas. Des hommes qui - sans isme aucun - se regrouperaient en société, se tourneraient bientôt vers de nouveaux ismes nés d'un esprit fort ou de la conscience collective. La majorité des individus les "subiront" et, dès la deuxième génération, même le leader aura subit l'influence des ismes précédent.

De fait, l'isme est une croyance qui remplace une ignorance. Sa fin repose donc sur une connaissance et une compréhension complète de l'ensemble du phénomène social auquel on l'avait apposé.

Donc, lorsque vous entendez une personne asséner: "vous êtes dans une posture [nouveau synonyme d'isme]" ou encore "il est temps de mettre un terme à la dictature des ismes", cet individu fait preuve ou de candeur, ou de malhonnêteté intellectuelle. En effet, lui-même est influencé par des ismes, qu'il s'agisse d'un social-libéral, d'un capitaliste, d'un droit-de-l'hommiste, d'un communiste...

L’impression qu'on a de penser au-dessus de l'isme vient généralement de ce que l'on n'écoute pas qu'une seule voix. Ainsi, on peut souhaiter la fin de la lutte des classes et l'égalité des individus (idées socialistes) aussi bien hommes que femmes (idées féministes) tout en reconnaissant les bienfaits du libre-arbitre et de la liberté d'entreprendre (idées libérales).

Le quiproquo vient que des associations d'individus décide de se donner les noms d'ismes particuliers ou de déforment leur sens. Ainsi, on n’ose pas avouer ses idées socialistes si on ne veut pas être catalogué membre du Parti Socialiste (*). Se revendiquer féministe, c'est prendre le risque d'être traité d'hystérique. Ces erreurs de jugements pourrissent généralement les conversations où ils fleurissent. Par peur de ce discrédit, on renonce finalement à les revendiquer. Puis, par flemme et pour la fluidité de ses échanges, on renonce à présenter ses engagements. Car si on refuse d'employer le mot de l'isme, par exemple "socialisme", mais qu'on souhaite exposer sa conviction, on doit réexposer l'ensemble de l'œuvre de Marx, celles des penseurs qui l'ont complétés et critiqués et ses propres remarques sur le sujet. Bref, il faut tenir conférence là où un mot suffit. On abandonne donc souvent l'idée en même temps que le mot.

Mais tous les ismes ne se valent pas: il est plus facile de revendiquer l'isme de la pensée majoritaire - d'être conformiste - que celui en disgrâce. Plus simple de dire qu'on est pour le libéralisme ou le capitalisme, que pour le féminisme et l'alter-mondialisme. C'est le syndrome des contre-cultures,  qui permet également de se distinguer du troupeau, le risque étant justement que cette distinction deviennent le seul objectif de l'individu - et que pour se donner de la contenance, il se radicalise dans son isme. Alors apparaît ce que l'on reproche à l'isme : une minorité d'individus extrémiste qui l'utilisent à des fins vaniteuses (consciemment ou non).

Face à ces extrémistes - dont l'isme principal est finalement l'extrémisme - l'isme majoritaire semble plus sage, plus réfléchis: finalement, la seule voix. Alors, ses partisans déclarent la fin de l'isme. Car, s’il n'y a plus qu'une voie praticable, à quoi bon la définir? Pourquoi dire "je suis capitaliste", si tout le monde l'est?

Mais tuer l'isme, c'est perdre la ressource nécessaire à critiquer la philosophie dominante si celle-ci échoue à garantir le bien-être commun. Tuer l'isme, c'est devoir tout redéfinir, partir de zéro, recréer l'isme ou subir. Tuer l'isme, c'est abdiquer son libre-arbitre, c'est être contraint à suivre - faute de temps. Finalement, tuer l'isme revient à n'en suivre qu'un: c'est être aveugle aux idées d'autrui.

Notre pensée se développe sur la base d'ismes multiples - qu'on le reconnaisse ou non. Ne pas le reconnaître, c'est faire le choix de la facilité, c'est éviter des disputes stériles, c'est ne pas prendre le risque de se tromper d'isme. Mais c'est aussi risquer de perdre ses convictions, de se laisser imposer une façon de penser. Revendiquer ses ismes en écoutant ceux des autres, c'est, au contraire, définir une ligne de conduite propre, c'est existé dans la société et c'est existé en tant qu'individu. En somme, c'est participer au débat d'idées et participer à l'évolution - voir à la création - d'ismes.


Pala