L'année 2014 a vu la sortie de deux films
très réussit partageant la thématique de la Femme piège : Enemy, de Denis Villeneuve et Gone Girl de David Finsher.
Cette thématique est intimement liée à
notre modèle patriarcale et à l'angoisse de l'Autre - comme la nomme Beauvoir
dans le Deuxième Sexe. Selon l’auteur,
l'Homme voit en la Femme son antagoniste avec laquelle il doit cohabiter et
lutter continuellement. Il a assis sa domination précaire sur elle et il se
transcende continuellement afin de maintenir sa mainmise et d'éviter de perdre
son ascendant. La Femme est donc Le danger de l'Homme patriarche.
On retrouve cette vision de l'esprit dans
les mythes antiques - où les femmes sont les éléments perturbateurs - ainsi que
dans les principales cultures bibliques, où, dès la genèse, Ève est le vice qui
pousse l'Humanité à déserter le Paradis statique. Encore aujourd'hui, beaucoup
d'hommes vivent dans la peur d'être destitué par la Femme : de la peur de la
matrone castratrice à la crainte des mouvements féministes.
C'est une peur irraisonnée comparable au
racisme ou à la xénophobie : la peur d'un changement qui - paradoxalement -
oblige une adaptation permanente. Et tandis que tout montre que femmes et
hommes sont aussi capables du bon que du mauvais, l'image de la mante religieuse continue à fasciner et à terrifier - et les personnages d'Amy - dans Gone Girl - et de Adam dans Enemy sont deux illustrations parfaites
de ce concept.
Dans le premier cas, Finsher nous présente
une société archétypale où chacun joue un rôle typique de la mythologie hollywoodienne : le bon flic / mauvais flic, les journalistes voraces, le noir blagueur, la lesbienne camionneuse, l'amante faire-valoir... et surtout, le
couple de banlieue dysfonctionnels qu'on retrouve dans Virgin Suicides, dans Les Noces rebelles, et dans pléthore d'autres films.
C'est ce qui m'avait initialement choqué
après le visionnage de ce film et c'est finalement ce qui me semble être sa
principale force : tout est trop comme on s'attend à ce que ce soit : du coup,
l'ensemble du film sonne comme un conte, comme une fable - c'était sans doute
le seul moyen de ne pas délivrer un message au premier degré : comme dans un
conte, l'histoire est beaucoup trop simple pour se passer d'interprétation.
En y réfléchissant, je ne pense pas qu'Amy
représente la mante religieuse - elle l'est (elle se fait passer pour victime de
viol, elle manipule, elle ment), mais elle est avant tout l'image que l'Homme
se fait de la mante religieuse. Elle est l'image que son mari, Nick, se fait de l'enfer
de la vie conjugale rangée : elle est son impuissance à se prendre en main pour
se construire lui-même, sans se comparer à l'Autre.
Nick est incapable de se transcender sans
s'opposer à l'Autre, il est faible, ça n'est que lorsque Amy le pousse au
combat qu'il redevient un être digne d'intérêt - il n'est que par rapport à
elle, et à la fin du film, lorsqu'il accepte de ne pas briser son couple, c'est
qu'il comprend cette faiblesse. Mais plus intéressant encore, Amy n'est
également que par rapport à ses partenaires - elle n'est pas meilleure ou pire que
Nick - elle est son égal : deux humains faillibles qui refusent leur condition
et qui reproche leurs faiblesses à l'Autre.
Mon interprétation, c'est que Finsher
dénonce une nouvelle fois la supposée inégalité de l'Homme et de la Femme. Il
l'avait déjà fait en adaptant Millenium,
dans le sens inverse : dans Gone Girl,
la Femme est l'égale de l'Homme dans sa faiblesse; dans Millenium, la Femme est l'égale de l'Homme dans ses capacités.
Denis Villeneuve adopte une toute autre
approche dans Enemy, au lieu d’illustrer
et de déconstruire le mythe de la Femme piège, il se place dans la tête d’un
homme qui vit l’angoisse de l’Autre.
J’aurais beaucoup de choses à dire sur ce
film – du point de vue de la signification – mais l’essentiel a déjà été brillamment
exposé par le Fossoyeur de Film, dans son Après-séance.
Je vous invite donc à voir cette vidéo (ci-dessus).
J’ai beaucoup aimé l’utilisation de la
femme-araignée – similaire à l’œuvre de Louise Bourgeois, qui symbolise à la
fois les forces et les faiblesses de la Femme et l’inquiétude qu’elle inspire à
l’Homme (d’ailleurs, si vous ne connaissez pas le travail de Bourgeois, je vous
encourage à vous y plonger, son Arc de l’Hystérie
est probablement une des sculptures qui m’a le plus fait réfléchir).
Les deux films sont des réussites formelles
et dégage une force visuelle spectaculaire. La froideur et l’aspect lisse de Gone Girl colle à cette
idée de faux, d’idéal perverti. Tandis que la dominance jaune d’Enemy appui le mal être de
Adam (et du spectateur). Le rythme des deux films est maîtrisé -
mention spéciale à Finsher qui a su, une fois de plus, me maintenir en haleine
plus de deux heures en prouvant encore sa maîtrise des scénarios déstructurés.
Enfin, les castings des deux films sont
formidables. Les performances du couple Pike et Afflek ont déjà fait couler
beaucoup d’encre et Jake Gyllenhaal est probablement Ma révélation de 2014 (quoiqu'il avait déjà été remarquable dans de nombreux films, dont Zodiac),
tant il m’a convaincu dans Enemy et
subjugué dans Nightcrawler (en
changeant radicalement d’interprétation).
Ces deux thrillers sont d’une intensité
rare, au-delà du message qu’ils véhiculent et tandis que Finsher continue à m’émerveiller
depuis 10 longs métrages, Villeneuve est sans conteste un cinéaste qui monte et
dont je suivrais l’actualité avec assiduité.
Pala