vendredi 19 juin 2015

[Critique] Un grillon se débattait dans un verre d’eau


Du 11 au 20 juin 2015, à la Maison de la Culture du Japon à Paris, la compagnie de butô contemporain Dairakudakan présente La planète des insectes, sous la direction de son directeur artistique, chorégraphe et danseur, Akaji Maro – un spectacle d’une heure et demie à mi-chemin entre 1001 pattes et Le meilleur des Mondes. J’ai vu ce spectacle le 18 juin, il s’agissait de ma première expérience de butô : rapport !

La danse butô a été inventée au début des années 60, en réaction au traumatisme de la bombe. Il s’agit de performances initialement exécutées par des danseurs masculins recouverts de poudre blanche (des cendres). Les expressions corporelles et faciales des performeurs sont exacerbées, dans la tradition du théâtre Kabuki ou … et plus généralement, de l’ensemble de la production culturelle japonaise (des estampes traditionnelles à une grande part des mangas modernes en passant par le jeu des acteurs du cinéma de Kurosawa).

Akaji Maro

Akaji Maro est un des monuments du butô, aujourd'hui âgé de 72 ans, il a participé à réinventer le genre, en y ajoutant des costumes, une mise en scène plus complexe (plus kitsch) et moins dépouillées, des musiques modernes (le compositeur de La planète des insectes n’est autre que le DJ Jeff Mills) et en introduisant des danseuses. Cependant, le principal scandale dont il est à l’origine a été de recouvrir ses danseurs de paillettes dorées au lieu de la cendre blanche traditionnelle. Cela lui a valu une exclusion temporaire de l’école butô.

Maro apparaît également dans Kill Bill, de Quentin Tarantino et l'Eté de Kikujiro, de Takeshi Kitano. Il joue également dans Suicide Club et Soseiji, deux films de genre qui donnent une bonne idée des pensées du personnage et des tourments de son art.

Car ce qui saute aux yeux, lorsqu'on assiste à un spectacle de butô, c'est la torture des corps, chaque anatomies est magnifiées par le maquillage qui souligne les muscles mis à nu. Les membres se tordent, les yeux se révulsent, les langues apparaissent rouge sang, les bouches s’ouvrent, béantes : ces danseurs sont beaux ! Et, quoi que la scène d’introduction de La planète des insectes – où les acteurs sont habillés – soit une des plus percutantes, plus les danseurs sont nues, plus ils sont beaux.

Dairakudakan - La planète des insectes

Malgré cette déstructuration apparente du corps, le butô est une danse maîtrisée. Les danseurs jouent un rôle qui fait sens. Le propos de la pièce (la déshumanisation, la rupture du refoulement du soi, le rapport homme-fourmis…) n’est pas altéré par la grandiloquence des mouvements.

Finalement, j’ai pris un pied monstre pour ce premier spectacle et malgré quelques soucis de rythme et un ou deux moments trop kitsch à mon goût (le combat entre cigales et fourmis est presque cartoonesques). Il s’agissait surement d’une excellente introduction à cette danse subtile mais sans concession. Si vous le pouvez, allez voir La planète des insectes, allez voir Akaji Maro, allez voir du butô, allez voir de la danse et avant tout, dansez!

Ah, hier, Jeff Miles était présent pour son anniversaire. Joyeux anniversaire à lui et merci pour la bande son presque parfaite et délicieusement industrielle.

Amour,

Pala